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Publié le - Mise à jour le
Une augmentation de capital est frauduleuse dès lors qu'elle est décidée par un associé égalitaire en l'absence de son coassocié aux seules fins de diluer la participation de ce dernier au profit du premier, et que la société n'en retire aucun bénéfice.
A propos de l’arrêt : Cass. 3e civ., 21 sept. 2022, n° 21-12.802, n° 665 F D
Une SCI, comptant deux associés égalitaires, procède à une augmentation de son capital, le portant de 2 000 € à 77 000 €, à laquelle seul un des deux associés participe, au moyen d’un versement en numéraire de 5 000 € et par incorporation de son compte courant d’associé à concurrence de 70 000 €. L’opération lui permet ainsi de voir sa participation portée à 98 %. En somme, en apportant 75 000 €, il est devenu largement majoritaire d’une société dont l’actif est évalué à 2 109 000 €. Soutenant que cette opération est intervenue en fraude de ses droits, l’associé devenu minoritaire assigne la SCI et son coassocié en annulation de l’augmentation de capital et en indemnisation de son préjudice.
La cour d’appel juge nulle l’augmentation de capital pour fraude, ce que confirme la Cour de cassation. Pour rejeter le pourvoi, les Hauts magistrats considèrent que :
Cet arrêt, qui rejoint une série d’autres n’hésitant pas à annuler une opération d’augmentation de capital pour fraude (Cass. com., 16 avr. 2013, n° 09-10.583 ; Cass. com., 11 janv. 2017, n° 14-27.052 ; Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-18.785), permet de revenir sur les indices permettant de caractériser une telle fraude.
D’abord, la Cour de cassation retient que la régularité des convocations n’exclut pas le caractère frauduleux de l’opération, balayant ainsi l’argument du pourvoi soutenant que l’associé victime de la fraude, régulièrement convoqué aux assemblées générales, avait eu la possibilité de s’opposer à l’opération ou d’y souscrire. La solution doit être approuvée. En effet, la fraude consiste justement à se soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi à dessein d’un moyen efficace, qui rend le résultat inattaquable sur le terrain du droit positif. Par suite, une convocation régulière ne peut suffire à écarter le spectre de la fraude. Au contraire, lorsqu’une convocation, régulière en apparence, masque une mise à l’écart sciemment orchestrée (ce qui n’était toutefois pas allégué en l’espèce, même si les convocations étaient retournées avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée »), le spectre de la fraude se précise (Cass. com., 16 avr. 2013, n° 09-10.583 ; Cass. com., 11 janv. 2017, n° 14-27.052).
Ensuite, pour caractériser la fraude la Cour de cassation s’en remet à des indices devenus classiques et bien identifiés par la doctrine (R. Mortier, Dr. sociétés 2020, comm. 141), tenant aux modalités et à la finalité de l’opération. Les juges vérifient en effet que les modalités de l’opération n’ont pas privé, en fait, un associé de la possibilité de souscrire à l’augmentation de capital. À cet égard, l’utilisation par un associé de son compte courant, comme en l’espèce, est souvent significative car, à défaut d’une telle créance, les autres associés devront trouver en urgence les fonds suffisants pour souscrire à l’augmentation ce qui peut leur être difficile, voire impossible.
Mais c’est surtout à la finalité de l’opération que les juges s’attachent, ce qui ressort nettement de l’arrêt. Les juges scrutent les conséquences de l’opération tant sur la situation des associés (les rapports de force entre les associés sont-ils relativement maintenus ou totalement rompus ?), que sur celle de la société (l’opération est-elle utile ou non à la société ?). Par suite, la fraude est écartée lorsque l’effet dilutif attaché à l’augmentation de capital est limité (Cass. com., 5 avr. 2018, n° 16-18.772). À l’inverse, elle est généralement caractérisée lorsque l’opération emporte une considérable dilution de la participation d’un associé, à l’avantage exclusif d’un autre, sans que ce sacrifice ne soit justifié par l’intérêt la société, comme en l’espèce.
Elsa Guégan, Professeur agrégée des facultés de droit, Dictionnaire permanent Droit des affaires, Editions Législatives, 28 oct.2022